Mon cher Aisy,
Souvenez-vous, c’était dimanche dernier à 13h …
Souvenez-vous, nous étions chez des amis communs, à Château Vert, conviés tous deux à un déjeuner , et c’est là que je vous ai vu pour la toute première fois, mon bel inconnu !
Souvenez-vous, nos hôtes, Jean-Edouard et Bérengère de la Motte, descendants comme chacun sait de l’illustre famille française des de Beurre, avaient réuni autour d’eux leurs plus proches amis, à l’occasion de la sortie de la première dent (de lait) de leur dernier fils Jean-Edouard junior, surnommé affectueusement, en référence au lieu de sa naissance, « petit suisse », pour un déjeuner festif et gourmand. Personne ne manquait à l’appel : il y avait Alexis et Aude de Langeac, Antoine du Quercy, Annabelle de Termignon, cousin Hub du Lochois, et même le vieil oncle Motocq, un peu brut de fonderie mais si amusant … et il y avait vous et il y avait moi !
Souvenez-vous, on ripailla joyeusement ; la terrine de canard sauvage au genièvre était fameuse, avec son goût incomparable de gibier, tué le jour précédent par le fleuron des chasseurs, le sus-nommé cousin Hub ; les Termignon s’étaient chargés du plat principal, un poulet baignant agréablement dans une sauce alpine aux saveurs puissantes.
Puis arriva le temps du fromage : c’est alors que je vous ai aperçu, mon cher Aisy, trônant sur le plateau de verre fumé, si équilibré, si élégant dans votre costume cendré. Je me souviens d’avoir sur le champ succombé devant vos appâts : votre jeunesse impertinente, votre fraîcheur, votre corps si parfaitement lavé, m’ont émoustillée comme jamais je ne l’avais été !
Souvenez-vous, je me suis, sans retenue aucune devant cette assemblée raffinée, jetée sur vous ; ma main impatiente vous a porté sans ménagement à mes lèvres, je vous y ai pressé et j’ai respiré passionnément votre parfum puissant ; puis vint ce moment d’exception où je vous ai croqué, malaxé dans ma bouche ravie puis enfin avalé, dans une explosion de plaisir assouvi !
Alors, mon cher Aisy, si vous vous souvenez, si comme moi ce fut pour vous un moment parfait , si comme moi vous n’attendez qu’une chose, revivre cette expérience unique , dans l’ivresse de tous les sens, revenez à moi et ouvrez-vous sans peur afin de me laisser encore pénétrer la fermeté rassurante de votre enveloppe charnelle et savourer dans vos entrailles votre cœur si doux !
Car, mon bel inconnu, je vous aime et vous veux comme seul compagnon de mes instants gourmands ; pour vous j’abandonne mes amants passés, inconsistants, dépourvus de caractère et désespérément insipides.
Je vous en supplie, ô mon délicieux ami, puissions-nous fromager encore ensemble, fougueusement, comme cette première fois, souvenez-vous, encore et encore ! Alors, ne vous faites pas si rare, pitié, laissez-moi pour toujours, en vous dégustant, vous aimer !
Nat Bruit de Mots (novembre 2014)
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